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HYPOGEE n. m. (1552 ; latin hypogeum, grec hupogeion, de gê “terre”). Archéol. Construction, et spécialt. Sépulture souterraine. Hypogées égyptiens.
Dictionnaire Le Petit Robert.
 
   
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Le Bubasteion

Le Bubasteion, désigne en grec le temenos, le périmètre consacré à la déesse Bastet, à son sanctuaire et à ses catacombes, situé à l'entrée de la nécropole de Memphis. Mais ce terme, d'Époque Ptolémaïque, se réfère à une réalité bien plus ancienne : la présence à Saqqara d'un temple consacré à cette déesse chatte (et auparavant plutôt lionne): Bastet dame de ‘Ankhtaouy, du nom d'un quartier de Memphis qui avait une sorte d'« annexe » dans la nécropole, au moins dès le Nouvel Empire. Pourtant, ce n'est vraiment qu'avec la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère que se développent les catacombes de chats situées sur ce site et qui furent au moins aussi importantes que le célèbre cimetière de chats de la métropole de Bastet, la ville de Bubastis dans le delta.

 
     

   
La falaise du Bubasteion à la fin du XXe siècle
Photo P. Chapuis / MAFB © Hypogées
   
     
Les momies de chats trouvées jadis sur le site du Bubasteion de Saqqara et encore présentes en très grand nombre à l'extérieur et à l'intérieur des tombeaux de la falaise, justifient que le site s'appelait autrefois en arabe, et s'appelle encore parfois, Abouab el-qotat, « Les Portes des chats », c'est-à-dire « les Entrées (des tombes) des chats ». Du reste, le caractère si curieux - en apparence - de ces pratiques funéraires concernant des animaux, qui plus est associé à l'image à la fois sulfureuse et sensuelle du chat, explique sans doute la fascination qu'éprouvent bien des contemporains pour cet aspect du site où nous travaillons. C'est ainsi que les chats du Bubasteion ont longtemps masqué et, parfois encore, masquent en quelque sorte les tombeaux du Bubasteion, c'est-à-dire les tombeaux rupestres du Nouvel Empire qui précédèrent ces pratiques cultuelles tardives et leur fournirent un cadre matériel. Mais ce sont d'abord ces tombeaux rupestres du Nouvel Empire qui sont l'objet des recherches et des activités de la Mission Archéologique Française du Bubasteion, même si les catacombes de chats constituent également un important sujet d'étude.

Contrairement aux idées reçues, les félins n'avaient pas un statut très différent des chiens, ibis, babouins et autres crocodiles révérés et momifiés dans l'Egypte antique. Comme eux, ils n'étaient que le support d'une divinité, ou au moins un intermédiaire entre cette dernière et les hommes. Les Egyptiens l'associaient à Bastet (Bubastis en grec). La déesse était représentée sous la forme d'une chatte, ou plus fréquemment comme une femme à tête de chatte, souvent représentée debout, vêtue d'une robe et portant un panier et une égide (sorte de bouclier). Mais Bastet n'a pas toujours eu ces traits. Elle fut d'abord, et elle est parfois restée jusque sous les Romains, une déesse lionne ou à tête de lionne, à l'image d'autres divinités féminines telles que Ouadjit, Mout ou Sekhmet, la grande déesse de Memphis, épouse du dieu Ptah.

Pour toutes ces raisons, le chat devient une incarnation de la déesse Bastet, symbole de la fertilité et de la maternité. Au fil des siècles, le culte qu'on lui voue ne cesse de gagner en popularité. Le félin jouit de la vénération des prêtres et des princes, mais aussi des petites gens. Au point que lorsqu'un chat vient à mourir, toute la famille se rase les sourcils en signe de deuil. Des foules de pèlerins se pressent vers les temples de Bastet. Ils y achètent des momies de chats destinées à être inhumées, à titre d'ex-voto, dans la nécropole du sanctuaire. Il semble que le félin devait transmettre, dans l'au-delà, la requête du fidèle à la divinité : naissance d'un enfant, succès en amour, guérison d'une maladie... Face à la demande grandissante, le clergé développe d'immenses parcs d'élevage et se met à confectionner les momies à une échelle quasi industrielle.

Les centaines de chats et les milliers d'ossements du Bubasteion, témoignent de ces pratiques. Le nombre total de félins qui furent déposés dans les catacombes reste toutefois impossible à préciser, étant donné l'entassement des corps et les dommages qu'ils ont subi suite aux pillages, aux infiltrations des eaux et aux incendies. Il faut également souligner qu'au XIXe siècle, ces momies ont été importées en masse en Europe, notamment vers la Grande-Bretagne, où elles furent utilisées comme engrais jusqu'à ce que le règlement sur les antiquités mît fin à ce trafic. Néanmoins, on pense que la nécropole de chats de Saqqara fut au moins aussi importante que celle de Bubastis, la ville principale de Bastet, sise au nord-est du delta du Nil. La mise au jour, en 1988, de 300 000 momies de chats au Spéos Artemidos, près de Beni Hassan, donne une idée du gigantisme de ces cimetières félins.

L’équipe du Bubasteion a adopté, dès le début des années 90, une méthode d'analyse non destructive : l'examen radiologique sur de grandes séries de restes de chats (plusieurs centaines à ce jour). Ce travail a été réalisé à Saqqara même, dans le laboratoire de la Mission du Bubasteion, par Roger Lichtenberg, assisté de Martine Fayein-Lichtenberg, de l'Institut Alfred-Fournier, tous deux radiologues et spécialistes des momies. Par la suite, l'équipe a bénéficié de la collaboration de Cécile Callou, archéozoologue au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, qui étudie en particulier le riche matériel faunique trouvé dans la tombe de Maïa. Ces approches conjointes ont fourni de précieuses informations sur les momies de chats et les rites qui leur étaient liés.

Les radiographies ont permis d'établir de véritables statistiques sur l'âge des animaux à leur mort et de préciser les causes de leur décès. L'aspect des squelettes montre que l'on a souvent affaire à de jeunes félins de moins de six mois, identifiés par la présence de cartilages spécifiques participant à la croissance des os. Ou encore « d'adolescents » de six mois à un an, chez qui ces cartilages sont en voie de soudure. Malgré tout, on rencontre de nombreux adultes désormais dépourvus de cette particularité morphologique. On constate par ailleurs que plus des deux tiers de ces chats ont été tués volontairement, par fracassement du crâne ou par strangulation. Ceci confirme l'existence « d'abattages rituels » pratiqués par le personnel des temples de Bastet, seul autorisé à cette pratique. Pour le reste de la population, l’usage égyptien interdisait en effet, sous peine de mort, de tuer un chat.

Les chats du Bubasteion se présentent sous deux aspects. Certains ont les pattes et la queue repliées le long du tronc. Pour d'autres, les membres sont emballés à part, ainsi qu'éventuellement la queue, de manière à restituer globalement la silhouette complète de l'animal. Ces momies ont-elles été fabriquées à des époques ou dans des ateliers distincts ? Traduisent-elles une différence de qualité ? Rien, pour l'instant, ne permet de trancher. Dans leur état actuel, peu d'entre elles présentent une décoration et un « bandelettage » minutieux comme celles que l'on peut admirer dans les musées. Néanmoins, des exemplaires particulièrement soignés ont été trouvés dans des sarcophages de pierre ou de bois. De plus, tout un matériel funéraire (coffrets, statuettes, bijoux, amulettes...) accompagne certaines de ces dépouilles. La momification proprement dite apparaît assez sommaire, aucune image radiographique ne témoignant d’une éviscération : les corps semblent avoir été simplement desséchés.

Il faut en outre souligner la présence d'une quantité assez importante de « fausses » momies, vides ou incomplètes, ou ne contenant que quelques ossements ou des matériaux divers non organiques. Leur nombre élevé suggère que pour satisfaire à la forte demande, les prêtres vendaient aux pèlerins des momies de qualité et de valeur différentes. Les « fausses » momies pourraient alors avoir fonctionné religieusement comme les « vraies ». Mais le clergé tirant de ce commerce des bénéfices certains, on ne peut écarter l'hypothèse de pratiques frauduleuses.

© A. Zivie, d'après Les Tombeaux retrouvés de Saqqara (Paris, 2003)

 
Ersatz de momie de chat
Photo A. Zivie © Hypogées
     

Le lion de la tombe de Maïa

Les apparences sont une fois de plus trompeuses. Ne jurerait-on pas qu’on a sous les yeux une scène qui nous rappelle l’un de ces films hollywoodiens des années 50 ou 60 : Les Neiges du Kiimandjaro (d’après le roman d’Ernest Hemingway), Hatari, ou Mogambo, avec ses deux séduisantes héroïnes, Ava Gardner et Grace Kelly, et son mâle héros, Clark Gable ? Des chasseurs de gros-gibier se penchent sur leur dernier trophée, en l’occurrence le « roi de la jungle », un lion ! Ils semblent l’avoir juste abattu et vérifier si d’aventure il ne pourrait pas encore griffer ou mordre.

Mais prenons garde aux apparences. Nous sommes certes en Afrique, mais au nord du continent, pas au Kenya ni dans l’ex-Tanganyika. Pas de grands espaces, pas de savane non plus, mais une chambre souterraine étroite et basse de plafond. Surtout, si l’on y regarde de près, le « roi des animaux » a bien piêtre figure. Il est même réduit à l’état de squelette. La comparaison avec Mogambo s’arrête donc là, même si, parmi les protagonistes de cette découverte, on retrouve, outre Ahmed Helmy, déjà rencontré plus haut, l’auteur de ce livre, accompagné de deux collègues féminines qui ont joué un rôle important dans l’aventure : l’archéologue Anaïck Samzun et l’archéozoologue Cécile Callou.

Des chercheurs scientifiques viennent de découvrir ce qui fut une momie de lion, découverte exceptionnelle, pour ne pas dire unique. Mais après tout, ce long et pénible voyage au cœur de la tombe de Maïa (Bubasteion I.20), au cours de campagnes de fouilles répétées, a eu quelque chose d’un safari, si du moins l’on prend ce mot dans son sens étymologique, puisqu’il vient de la racine arabe safara, « voyager ». Car ce fut bien un voyage, dans l’espace, mais surtout dans le passé, semé d’embûches et de surprises. Partis en quête d’une femme qui joua probablement un rôle très important dans les années qui précédèrent et qui suivirent le couronnement de Toutankhamon, nous rencontrâmes en fait des chats – ce qui n’était pas une surprise compte tenu de notre expérience du site – et nous finîmes par tomber sur un lion. L’analyse archéologique a montré que ce lion était associé au culte tardif de Bastet et des autres figures divines félines : Sekhmet, Mout, Ouadjit, et évidemment aux inhumations systématiques de chats pratiquées au Bubasteion et entre autres dans cette tombe. Une datation au Carbone 14 nous permettra un jour, du moins nous l’espérons, d’en avoir la confirmation définitive.

Ce vieux lion fatigué, à la denture usée, pourrait bien avoir été une incarnation du dieu Mysis, fils de Bastet. Il vient en tout cas confirmer ce qu’on ne savait que par des témoignages écrits. Comme tant d’autres animaux plus ou moins domestiques ou plus ou moins sauvages. des lions ont été momifiés et inhumés en plusieurs lieux d’Egypte. Cette ex-momie peut-elle laisser espérer que ce site déjà si riche fut aussi celui du cimetière de lions de Memphis ? L’avenir le dira peut-être.

© A. Zivie, texte inédit publié en anglais dans The Lost Tombs of Saqqara (Toulouse, 2007).

 

Découverte des restes d'un lion
dans la tombe de Maïa (Bub I.20)
Photos P. Chapuis /
MAFB © Hypogées